À l'Imprimerie nationale à Flers-en-Escrebieux, à côté de Douai, on commence à l'avoir saumâtre. À peine remis de douloureux plans sociaux, de l'heureuse obtention de la fabrication des passeports biométriques, une affaire de corruption sur des marchés étrangers vient plomber une nouvelle fois le moral de l'entreprise d'État.
L'histoire évoque une minuscule affaire Elf, en tout cas, des pratiques douteuses. Pour décrocher des contrats publics en Roumanie, Géorgie, Syrie, au Sénégal, l'Imprimerie nationale, dont la dernière usine est implantée à Flers-en-Escrebieux, aurait eu recours à des commissions occultes. On évoque des centaines de milliers d'euros de pots-de-vin (300 000 pour un contrat de 20 millions en Roumanie). Or l'export ne représente que 4 % du chiffre d'affaires du groupe.
C'est le licenciement en 2008, officiellement pour faute grave (soupçon d'un détournement de 50 000 E) de l'ex-directeur financier, Yves Peccaud, qui déclenche le séisme. Il vient de refuser de valider les comptes 2007. L'Agence des participations de l'État (APE), présente au comité d'entreprise, diligente un audit. La société KPMG conclut à « de forts soupçons de corruption ».
Complot ?
Les 14 et 22 janvier, la Division nationale des investigations financières perquisitionne le siège parisien de l'Imprimerie nationale, le domicile de certains dirigeants. Elle s'intéresse au rôle joué par le président, Loïc Lenoir de la Cochetière, dont le mandat n'a curieusement pas été renouvelé en juin.
Informé par sa direction dès le début d'année, Jacques Floris, secrétaire CGT du comité central d'entreprise, s'interroge : « Les règles pour les commissions à l'export avaient été établies par le prédécesseur de M. de la Cochetière, Jean-Luc Vialla. Dès qu'il a eu vent de soucis de commissions, M. de La Cochetière a rectifié. » Olivier Decary, secrétaire du comité d'établissement, renchérit : « Le contrat pour la Roumanie a été signé en 2004 mais les négociations avaient débuté avant... » En somme, la Justice a du travail. Car notre confrère Le Parisien a relancé l'affaire hier en notant que le 1er juillet, une information judiciaire contre X a été ouverte pour « corruption d'agent public étranger, abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux ». Aucune mise en examen n'est intervenue pour l'instant.
Mais le quotidien évoque des perquisitions chez cinq personnes suspectées d'avoir servi d'intermédiaires : Pascal Pluchard, dirigeant d'une société d'impression, Patrick Wajsman, directeur de la revue Politique internationale (qui a remis le 13 novembre 2008 le prix du courage politique à M. Sarkozy), Julien Turczynski, avocat d'affaires, Bruno Guez, consultant (condamné à 12 mois avec sursis dans l'affaire Elf !), Mihnea Berindei, chercheur à l'Institut des sciences sociales du politique, ancien porte-parole de la Ligue des droits de l'homme en Roumanie (sic) .
Les syndicats de l'Imprimerie nationale n'hésitent pas à dénoncer un complot. « On n'avait vraiment pas besoin de ça, dit Jacques Floris. On n'a pas que des amis autour de nous avec une concurrence privée qui ne demande qu'à nous piquer le boulot. » « On a plus l'impression d'un règlement de comptes orchestré pour déstabiliser l'entreprise et l'ancien président », émet Olivier Decary qui pense à l'avenir : « On a montré que nous étions capables d'innover sur un marché porteur, qu'on a un potentiel pour faire vivre l'entreprise. A-t-on la même volonté dans les hautes sphères ? » Dans une lettre ouverte livrée hier soir au personnel, Didier Trutt, le nouveau PDG, veut serrer les rangs pour défendre « la réputation d'une entreprise dont je ne peux penser un seul instant qu'elle ait pu cautionner des actes en relation avec les chefs d'instruction. » Joint plus tôt, Alain Paolini, secrétaire général du groupe, ne peut en dire plus : « Nous sommes coincés par l'instruction en cours et par des choses qu'on ne connaît pas... Je découvre comme vous que des gens auraient gravité autour de l'entreprise. » •
ZOOM
L'Imprimerie nationale souffre depuis de longues années et prend l'affaire comme un nouveau coup dur.
Sous la présidence de Loïc Lenoir de la Cochetière, le PDG débarqué en juin, l'entreprise d'État est passée de 1 700 à 540 employés et a revendu ses sites de Strasbourg, d'Evry et de Choisy-le-Roi (en 2008). L'imprimerie de la rue d'Auby à Flers-en-Escrebieux (à côté de Douai) reste seule, désormais spécialisée dans la fabrication des passeports biométriques (également la nouvelle carte d'identité et les cartes grises). Elle rassemble 480 personnes pour 60 à la direction parisienne.
En avril, celle-ci a dénoncé le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) mis en oeuvre en 2005 lors de la perte de la fabrication de l'annuaire téléphonique par l'unité douaisienne (40 % de son activité à l'époque). Le PSE plomberait les comptes de l'Imprimerie nationale. Les syndicats réclamaient que les charges supplémentaires soient garanties par l'État mais ont été déboutés sur la forme.
Après une histoire du trafic de cartes grises (perquisitions à Flers en 2005), deux plans sociaux, voici une affaire de corruption... Le nouveau PDG, Didier Trutt, arrive dans une zone de tempête. « C'est une accumulation d'événements. Beaucoup de choses font penser qu'on en veut à l'entreprise », déclare dépité Olivier Decary, secrétaire du comité d'établissement. OL. B.
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