Soupçons de corruption à l’Imprimerie nationale
L’entreprise publique, qui fabrique les passeports biométriques, est soupçonnée d’avoir versé des pots-de-vin pour obtenir des marchés à l’étranger. La justice vient d’ouvrir une enquête.
Eric Decouty et Elisabeth Fleury 01.09.2009, 07h00
Marquée depuis des années par les difficultés financières et les conflits sociaux, l’Imprimerie nationale est désormais rattrapée par la justice. Au début de l’été, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire pour « corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux » contre cet ancien fleuron de l’industrie, imprimeur de documents officiels et fabricant des passeports, cartes d’identité ou cartes grises. Concrètement, la justice soupçonne l’Imprimerie nationale, détenue par l’Etat, d’avoir obtenu des marchés en Roumanie, en Géorgie, en Syrie et au Sénégal contre le versement de pots-de-vin, pour un montant estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros (voir page 3).
Nombreuses turbulences
Si les enquêteurs ont mené des perquisitions au siège de la société, dans les bureaux de plusieurs dirigeants ainsi qu’aux domiciles de quatre intermédiaires supposés, l’affaire a déjà coûté son poste à l’ancien président. Loïc de la Cochetière a en effet été écarté fin juin au profit de Didier Trutt, un ancien de Thomson.
Cette affaire intervient alors que l’Imprimerie nationale connaît depuis plusieurs années de nombreuses turbulences. L’entreprise publique, qui assurait l’impression de toutes « les paperasseries de l’Etat » jusqu’au milieu des années 1990, concentre désormais l’essentiel de son activité sur les documents sécurisés notamment les passeports biométriques. Dans ce contexte, et alors que la Cour des comptes a dénoncé « la gestion désastreuse » de l’Etat, l’Imprimerie nationale a été contrainte de céder plusieurs de ses sites historiques.
Il reste maintenant à savoir les conséquences qu’auront sur l’entreprise les futurs développements de l’enquête. Alors que le juge d’instruction s’apprête à lancer plusieurs commissions rogatoires internationales, aucun des protagonistes sollicités par « le Parisien » et « Aujourd’hui en France » n’a souhaité s’exprimer officiellement.
Quatre questions sur un scandale
Elisabeth Fleury 01.09.2009, 07h00
Voici les principaux éléments du dossier dont est saisi le juge du pôle financier, Françoise Desset.
1 Sur quoi porte l’affaire ?
L’Imprimerie nationale est impliquée dans une affaire de corruption internationale, pour quatre contrats qu’elle aurait conclus ces dernières années avec la Roumanie, la Géorgie, la Syrie et le Sénégal.
En Roumanie, le contrat, signé en 2004, porte sur la production de documents fiscaux d’un montant initial de 20 millions d’euros. Selon une source proche du dossier « un peu plus de 300 000 euros » auraient été détournés par des intermédiaires.
Pour la Géorgie, le contrat porte sur des passeports papier pour 1,4 million d’euros. Les contrats passés avec la Syrie et le Sénégal seraient plus modestes, mais concerneraient également la fabrication de passeports papier. A chaque fois, le marché aurait été obtenu par l’Imprimerie nationale à la suite du versement de pots-de-vin.
Le1er juillet, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire confiée à la juge financière Françoise Desset. Cette enquête est qualifiée de « suffisamment complexe » par le parquet pour justifier la saisine de la juridiction interrégionale spécialisée de Paris.
2 Qui sont les acteurs du dossier ?
Outre l’ancien PDG de l’Imprimerie nationale, Loïc de la Cochetière, la justice s’interroge sur le rôle joué par Pascal Pluchard, dirigeant de la société suisse Wed, soupçonné d’avoir servi au transfert de commissions occultes à l’occasion du contrat avec la Roumanie.
Par ailleurs, l’enquête vise quatre personnes, présentées par l’accusation comme « d’éventuels intermédiaires douteux ». Patrick Wajsman, ancien éditorialiste au « Figaro » et fondateur de la revue « Politique internationale », serait intervenu dans le dossier géorgien. Julien Turczynski, un avocat d’affaires parisien, dont le cabinet s’est occupé du contrat conclu avec la Roumanie est lui aussi visé dans la procédure. Bruno Guez, un consultant déjà impliqué dans le cadre de l’affaire Elf, apparaît également dans le dossier du juge d’instruction pour son rôle dans le contrat roumain. Enfin Mihnea Berindei, un chercheur au CNRS travaillant à l’Institut des sciences sociales, intéresse également le magistrat.
Ces quatre hommes ont tous été entendus par les enquêteurs, et leurs domiciles et bureaux ont été perquisitionnés.
Aucun d’entre eux n’a pour autant été, à ce jour, placé en garde à vue ou mis en examen. Sollicités par « le Parisien » « Aujourd’hui en France », ces intermédiaires supposés n’ont pas donné suite. Seul, l’avocat d’affaires nous a répondu, contestant toute activité occulte.
3 Comment l’affaire a-t-elle éclaté ?
C’est un ancien directeur administratif et financier de l’Imprimerie nationale, Yves Peccaud, qui est à l’origine du scandale. Fin février 2008, à la suite d’une réunion du comité d’audit, ce haut cadre de l’entreprise refuse de signer les comptes pour 2007. Il s’interroge notamment sur le rôle joué par la société de droit suisse Wed, une filiale de Weber Graphic. L’Agence des participations de l’Etat (APE, structure dépendant du ministère des Finances), autorité de tutelle de l’Imprimerie nationale, confie alors à la société KPMG le soin de réaliser un audit sur les contrats à l’export. Le rapport de KPMG, très sévère, conclut notamment à « de forts soupçons de corruption ».
Sur la base de ce rapport, l’APE et Bercy décident alors de confier le dossier à la justice. C’est ainsi qu’après avoir mené une enquête préliminaire, le parquet de Paris a choisi, cet été, d’ouvrir une information judiciaire pour corruption.
4 Quel rôle l’ex-directeur financier a-t-il joué ?
En refusant de signer les comptes 2007, Yves Peccaud est à l’origine de la saisine du parquet. Mais il fait à son tour l’objet d’une enquête. Limogé fin janvier pour « faute grave », on lui reprocherait, notamment, des détournements de fonds « pour des montants avoisinant 50 000 euros », indique une source interne à l’Imprimerie nationale. Après une tentative de conciliation aux prud’hommes qui s’est soldée par un échec, l’Imprimerie nationale a déposé plainte contre lui.
L’entreprise publique, qui fabrique les passeports biométriques, est soupçonnée d’avoir versé des pots-de-vin pour obtenir des marchés à l’étranger. La justice vient d’ouvrir une enquête.
Eric Decouty et Elisabeth Fleury 01.09.2009, 07h00
Marquée depuis des années par les difficultés financières et les conflits sociaux, l’Imprimerie nationale est désormais rattrapée par la justice. Au début de l’été, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire pour « corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux » contre cet ancien fleuron de l’industrie, imprimeur de documents officiels et fabricant des passeports, cartes d’identité ou cartes grises. Concrètement, la justice soupçonne l’Imprimerie nationale, détenue par l’Etat, d’avoir obtenu des marchés en Roumanie, en Géorgie, en Syrie et au Sénégal contre le versement de pots-de-vin, pour un montant estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros (voir page 3).
Nombreuses turbulences
Si les enquêteurs ont mené des perquisitions au siège de la société, dans les bureaux de plusieurs dirigeants ainsi qu’aux domiciles de quatre intermédiaires supposés, l’affaire a déjà coûté son poste à l’ancien président. Loïc de la Cochetière a en effet été écarté fin juin au profit de Didier Trutt, un ancien de Thomson.
Cette affaire intervient alors que l’Imprimerie nationale connaît depuis plusieurs années de nombreuses turbulences. L’entreprise publique, qui assurait l’impression de toutes « les paperasseries de l’Etat » jusqu’au milieu des années 1990, concentre désormais l’essentiel de son activité sur les documents sécurisés notamment les passeports biométriques. Dans ce contexte, et alors que la Cour des comptes a dénoncé « la gestion désastreuse » de l’Etat, l’Imprimerie nationale a été contrainte de céder plusieurs de ses sites historiques.
Il reste maintenant à savoir les conséquences qu’auront sur l’entreprise les futurs développements de l’enquête. Alors que le juge d’instruction s’apprête à lancer plusieurs commissions rogatoires internationales, aucun des protagonistes sollicités par « le Parisien » et « Aujourd’hui en France » n’a souhaité s’exprimer officiellement.
Quatre questions sur un scandale
Elisabeth Fleury 01.09.2009, 07h00
Voici les principaux éléments du dossier dont est saisi le juge du pôle financier, Françoise Desset.
1 Sur quoi porte l’affaire ?
L’Imprimerie nationale est impliquée dans une affaire de corruption internationale, pour quatre contrats qu’elle aurait conclus ces dernières années avec la Roumanie, la Géorgie, la Syrie et le Sénégal.
En Roumanie, le contrat, signé en 2004, porte sur la production de documents fiscaux d’un montant initial de 20 millions d’euros. Selon une source proche du dossier « un peu plus de 300 000 euros » auraient été détournés par des intermédiaires.
Pour la Géorgie, le contrat porte sur des passeports papier pour 1,4 million d’euros. Les contrats passés avec la Syrie et le Sénégal seraient plus modestes, mais concerneraient également la fabrication de passeports papier. A chaque fois, le marché aurait été obtenu par l’Imprimerie nationale à la suite du versement de pots-de-vin.
Le1er juillet, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire confiée à la juge financière Françoise Desset. Cette enquête est qualifiée de « suffisamment complexe » par le parquet pour justifier la saisine de la juridiction interrégionale spécialisée de Paris.
2 Qui sont les acteurs du dossier ?
Outre l’ancien PDG de l’Imprimerie nationale, Loïc de la Cochetière, la justice s’interroge sur le rôle joué par Pascal Pluchard, dirigeant de la société suisse Wed, soupçonné d’avoir servi au transfert de commissions occultes à l’occasion du contrat avec la Roumanie.
Par ailleurs, l’enquête vise quatre personnes, présentées par l’accusation comme « d’éventuels intermédiaires douteux ». Patrick Wajsman, ancien éditorialiste au « Figaro » et fondateur de la revue « Politique internationale », serait intervenu dans le dossier géorgien. Julien Turczynski, un avocat d’affaires parisien, dont le cabinet s’est occupé du contrat conclu avec la Roumanie est lui aussi visé dans la procédure. Bruno Guez, un consultant déjà impliqué dans le cadre de l’affaire Elf, apparaît également dans le dossier du juge d’instruction pour son rôle dans le contrat roumain. Enfin Mihnea Berindei, un chercheur au CNRS travaillant à l’Institut des sciences sociales, intéresse également le magistrat.
Ces quatre hommes ont tous été entendus par les enquêteurs, et leurs domiciles et bureaux ont été perquisitionnés.
Aucun d’entre eux n’a pour autant été, à ce jour, placé en garde à vue ou mis en examen. Sollicités par « le Parisien » « Aujourd’hui en France », ces intermédiaires supposés n’ont pas donné suite. Seul, l’avocat d’affaires nous a répondu, contestant toute activité occulte.
3 Comment l’affaire a-t-elle éclaté ?
C’est un ancien directeur administratif et financier de l’Imprimerie nationale, Yves Peccaud, qui est à l’origine du scandale. Fin février 2008, à la suite d’une réunion du comité d’audit, ce haut cadre de l’entreprise refuse de signer les comptes pour 2007. Il s’interroge notamment sur le rôle joué par la société de droit suisse Wed, une filiale de Weber Graphic. L’Agence des participations de l’Etat (APE, structure dépendant du ministère des Finances), autorité de tutelle de l’Imprimerie nationale, confie alors à la société KPMG le soin de réaliser un audit sur les contrats à l’export. Le rapport de KPMG, très sévère, conclut notamment à « de forts soupçons de corruption ».
Sur la base de ce rapport, l’APE et Bercy décident alors de confier le dossier à la justice. C’est ainsi qu’après avoir mené une enquête préliminaire, le parquet de Paris a choisi, cet été, d’ouvrir une information judiciaire pour corruption.
4 Quel rôle l’ex-directeur financier a-t-il joué ?
En refusant de signer les comptes 2007, Yves Peccaud est à l’origine de la saisine du parquet. Mais il fait à son tour l’objet d’une enquête. Limogé fin janvier pour « faute grave », on lui reprocherait, notamment, des détournements de fonds « pour des montants avoisinant 50 000 euros », indique une source interne à l’Imprimerie nationale. Après une tentative de conciliation aux prud’hommes qui s’est soldée par un échec, l’Imprimerie nationale a déposé plainte contre lui.
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